mercredi 30 janvier 2008

Alors Kerviel ! Cochon, dindon, paillasse ou millionnaire ?

"Ils veulent tous trouver Kerviel", titrait encore, mardi 29 janvier, le site de 20 Minutes.
Et de nous expliquer : « La chasse à l'homme continue. Plusieurs jours après que le scandale de la Société générale a éclaté, aucun média n'a réussi à entrer en contact directement avec Jérôme Kerviel, le courtier en cause dans l'affaire. »

Et c’est vrai que les médias pratiquent la chasse à l’homme depuis quelques jours à propos des 5 milliards d’euros perdus par la Société générale.

Prenons, par exemple, 20Minutes.fr :

24 janvier 9h05 : « Fraude à la Société générale: le courtier en fuite? »

FBI, porté disparu. Jack Malone est aux manettes. Et Jack, c'est un pitbull. Il ne lâche rien:


24 janvier 17h02 (on l’a identifié): « Jérôme Kerviel, le courtier par qui la Société Générale a perdu 4,9 milliards d'euros ».
25 janvier 23h15 : « Des policiers chez Jérôme Kerviel »
26 janvier 14h30 : « Jérôme Kerviel en garde à vue à la brigade financière »
27 janvier 10h18 : « Société Générale: le courtier Jérôme Kerviel toujours en garde à vue »
28 janvier 8h33 : « Société Générale: fin de la garde à vue de Jérôme Kerviel qui pourrait être présenté au Parquet »
28 janvier 13h48 : « Société Générale: ouverture d'information judiciaire, Kerviel déféré au parquet »
28 janvier 19h48 : « Société générale: Kerviel mis en examen notamment pour «abus de confiance»
29 janvier 18h14 : « Ils veulent tous trouver Kerviel. »
29 janvier 20h42 : « Qu’est-ce qui coûte de 2,3 millions d’euros par heure aux Français ? ». Jérôme Kerv.. non je plaisante. L’article est sur les jeux de loto.

Mais bon, quand même. On joue tous au loto. Voilà ce qu’a fait ce trader malheureux. Sauf que, quand même, on se questionne, s’interpelle. A-t-il agi seul ? Le Président de la Société générale n’est-il pas responsable. Nos-chers-gouvernants ont été prompts à dénoncer les responsabilités du président. « Il doit démissionner » disent-ils tous en cœur du PS à l’UMP.

Faudrait pas que le pékin moyen croie que c’est le système économique qui est responsable… On donne donc en pâture le trader qui pourtant travaillait plus pour gagner plus et son directeur, ce requin de la finance (mal vu de toute façon avec sa probable retraite chapeau et son parachute doré).

Oh la la.

Quand on regarde les JT, quand on lit la presse, quand on écoute la radio, que cela paraît complexe. Ces montages financiers, ses contrôles boursiers, cette informatique pleine de codes secrets détournés.

Pourtant. Pourtant…

Si on relit nos classiques. Balzac, par exemple. En 1837. Il y a 170 ans. Presque deux siècles.César Birotteau, histoire de la grandeur et de la décadence d’un homme, marchand parfumeur, adjoint au maire, chevalier de la légion d’honneur, qui voulait faire fortune, en plus, spécule sur de l’immobilier et se gaufre. Ruiné. Ratatiné. Il va voir un banquier, qui lui explique tout.

Lisez. C’est Kerviel, Bouton. Mais surtout, « ce qui est en cause ici, … c’est un système… Ce système porte un nom : c’est le capitalisme. L’œuvre de Balzac, entre autres choses, c’est aussi la description de la montée du capitalisme », disait Félicien Marceau.

Un Classique (poche Folio, 7 euros), p. 308-309:

M. Claperon (le loup) : « Une affaire exige le concours de tant de capacités ! Mettez vous avec nous dans les affaires ! Ne carottez pas avec des pots de pommade et des peignes : mauvais ! mauvais ! Tondez le public, entrez dans la Spéculation.
César Birotteau (l’agneau) : La spéculation ? dit le parfumeur, quel est ce commerce ?
M. Claperon : C’est le commerce abstrait, repris Claperon, un commerce qui restera secret pendant une dizaine d’années encore, au dire du grand Nucingen, le Napoléon de la finance, et par lequel un homme embrasse les totalités des chiffres, écrème les revenus avant qu’ils n’existent, une conception gigantesque, une façon de mettre l’espérance en coupes réglées, enfin une nouvelle Cabale ! Nous ne sommes encore que dix ou douze têtes fortes initiées aux secrets cabalistiques de ces magnifiques combinaisons.

César ouvrit les yeux et les oreilles en essayant de comprendre cette phraséologie composite.

M. Claperon : Ecoutez, dit Claperon après une pause, de semblables coups veulent des hommes. Il y a l’homme à idées qui n’a pas le sou, comme tous les gens à idées. Ces gens là pensent et dépensent, sans faire attention à rien. Figure-vous un cochon qui vague dans un bois à truffes ! Il est suivi par un gaillard, l’homme d’argent, qui attend le grognement excité par la trouvaille. Quand l’homme à idées a rencontré quelque bonne affaire, l’homme d’argent lui donne alors une tape sur l’épaule et lui dit : « Qu’est-ce que c’est que ça ? Vous vous mettez dans la gueule d’un four, mon brave, vous n’avez pas les reins assez forts ; voilà mille francs, et laissez-moi mettre en scène cette affaire. » Bon ! le Banquier convoque alors les industriels. Mes amis, à l’ouvrage ! des prospectus ! la bague à mort ! On prend des cors de chasse et on crie à son de trompe : « Cent mille francs pour cinq sous ! ou cinq sous pour cent mille francs, des mines d’or, des mines de charbon. » Enfin tout l’esbroufe du commerce. On achète l’avis de hommes de sciences ou d’art, la parade se déploie, le public entre, il en a pour son argent, la recette est dans les mains. Le cochon est chambré sous son toit avec des pommes de terre, et les autres se chafriolent dans les billets de banque. Voilà, mon cher monsieur. Entrez dans les affaires. Que voulez-vous être ? cochon, dindon, paillasse ou millionnaire ? Réfléchissez à ceci : je vous ai formulé la théorie des emprunts modernes. Venez me voir, vous trouverez un bon garçon toujours jovial. La jovialité française, grave et légère tout à la fois, ne nuit pas aux affaires, au contraire ! Des hommes qui trinquent sont bien faits pour se comprendre ! Allons ! encore un verre de vin de Champagne ? »

Un Classique. On le transpose à notre affaire. Tout s’éclaire.

Pourquoi on ne lit plus Balzac à l’école ?

Max.

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