lundi 7 janvier 2008

d'un dakar à l'autre

con-testé

Depuis quelques mois, on ne peut pas dire que la France soit à son aise en Afrique. L’ingérence des aventuriers de « l’arche de Zoé », tout d’abord, au Tchad. Depuis les années 60, France, Libye, Soudan, se disputent des frontières dessinées arbitrairement par la colonisation européenne qui voulait et a réussi ainsi à casser les anciens Etats sahéliens [1]. Les relations diplomatiques dégradées avec l’Algérie, ensuite, particulièrement visibles lors de la visite officielle de N. Sarkozy en décembre, signal de la perte d’influence de la France dans le Sahara. Ce sont aujourd’hui les Etats-Unis qui entraînent les troupes algériennes pour lutter contre Al Qaida dont le Sahel serait devenu une base arrière [2]. L’annulation du Paris-Dakar, enfin, suite aux menaces terroristes contre la course lors de ses étapes en Mauritanie où quatre touristes français ont trouvé la mort en décembre.

On peut donc s’interroger sur cette accumulation de déconvenues, qui ne datent pas de cette année d’ailleurs (souvenons nous des ridicules gesticulations de Dominique de Villepin et M. Alliot Marie en Côte d’Ivoire en 2006).
A l’heure où Nicolas Sarkozy nous sert sa douteuse « politique de civilisation » [3], on peut s’interroger si ce « Grand leader du monde contemporain », n’est pas en train de faire le con en notre nom en Afrique et sans doute ailleurs.
Pour s’en convaincre, comme d’habitude, regardons ses textes, en l’occurrence son discours prononcé à l’Université de Dakar le 26 juillet 2007. Où on devine comme le dit Edgar Morin (dont aurait grand tort d’assimiler les idées aux galimatias guaino-sarkozien), que Nicolas Sarkozy a « une vue tout à fait extérieure de la réalité africaine, [qu’] il n'a pas compris de l'intérieur les problèmes profonds de l'Afrique : ils sont liés à l'autonomie, à un progrès qui ne soit pas calqué sur le modèle de l'Occident, etc.… » [4].

Morceaux choisis où on retrouve les rengaines sarkozystes récurrentes [5]:

L’immobilisme c’est les autres

«Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès. Dans cet univers où la nature commande tout, l'homme échappe à l'angoisse de l'histoire qui tenaille l'homme moderne mais l'homme reste immobile au milieu d'un ordre immuable où tout semble être écrit d'avance. Jamais l'homme ne s'élance vers l'avenir. Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin.»

Le « fardeau de l’homme blanc » ou la supériorité de la civilisation européenne

«Le défi de l'Afrique, c'est d'apprendre à regarder son accession à l'universel non comme un reniement de ce qu'elle est mais comme un accomplissement. Le défi de l'Afrique, c'est d'apprendre à se sentir l'héritière de tout ce qu'il y a d'universel dans toutes les civilisations humaines. C'est de s'approprier les droits de l'homme, la démocratie, la liberté, l'égalité, la justice comme l'héritage commun de toutes les civilisations et de tous les hommes. C'est de s'approprier la science et la technique modernes comme le produit de toute l'intelligence humaine.»

«La faiblesse de l'Afrique qui a connu sur son sol tant de civilisations brillantes, ce fut longtemps de ne pas participer assez à ce grand métissage. Elle a payé cher, l'Afrique, ce désengagement du monde qui l'a rendue si vulnérable. Mais, de ses malheurs, l'Afrique a tiré une force nouvelle en se métissant à son tour. Ce métissage, quelles que fussent les conditions douloureuses de son avènement, est la vraie force et la vraie chance de l'Afrique au moment où émerge la première civilisation mondiale. La civilisation musulmane, la chrétienté, la colonisation, au-delà des crimes et des fautes qui furent commises en leur nom et qui ne sont pas excusables, ont ouvert les cœurs et les mentalités africaines à l'universel et à l'histoire. Ne vous laissez pas, jeunes d'Afrique, voler votre avenir par ceux qui ne savent opposer à l'intolérance que l'intolérance, au racisme que le racisme.»

L’hypocrisie


«Dès lors que vous regarderez bien en face la réalité de l'Afrique et que vous la prendrez à bras le corps, alors commencera la Renaissance africaine. Car le problème de l'Afrique, c'est qu'elle est devenue un mythe que chacun reconstruit pour les besoins de sa cause. Et ce mythe empêche de regarder en face la réalité de l'Afrique. La réalité de l'Afrique, c'est une démographie trop forte pour une croissance économique trop faible. La réalité de l'Afrique, c'est encore trop de famine, trop de misère. La réalité de l'Afrique, c'est la rareté qui suscite la violence. La réalité de l'Afrique, c'est le développement qui ne va pas assez vite, c'est l'agriculture qui ne produit pas assez, c'est le manque de routes, c'est le manque d'écoles, c'est le manque d'hôpitaux. La réalité de l'Afrique, c'est un grand gaspillage d'énergie, de courage, de talents, d'intelligence. La réalité de l'Afrique, c'est celle d'un grand continent qui a tout pour réussir et qui ne réussit pas parce qu'il n'arrive pas à se libérer de ses mythes.»

Ces dernières lignes notamment sont éloquentes. Je ne peux m’empêcher d’y lire implicitement que la réalité de l’Afrique, c’est qu’elle nous envoie trop d’enfants, c’est qu’elle est la cause de nos insécurités, c’est qu’elle manque de colonisation, c’est qu’elle ne se soumet pas encore assez à Total.

Que ce discours de Dakar finisse par s’échouer lamentablement dans les sables du « Dakar », ce n’est que bonnes choses, car avec de tels hommes politiques, aussi discrets et subtils que de gros 4x4, pour nous défendre en Afrique, nous n’avons rien à y faire, même pas du « tourisme durable ».


Le mot de la fin à la petite voix perdue dans le désert de Théodore Monod




[1] Pierre Conesa, « Les soubresauts d’un Etat fictif. Le Tchad des crises à répétition », Le Monde diplomatique, mai 2001. Un article de fond, un peu ancien mais qui fait un historique très instructif de l’histoire récente tourmentée de cette région.
[2] «L'annulation du Dakar révèle une insécurité croissante au Sahel», Le Monde du 5 janvier 2007
[3] « Alors, que la France montre la voie ! C’est ce que depuis toujours tous les peuples du monde attendent d’elle. C’est ce que nous ferons quand la France présidera, à partir du 1er juillet, l’Union Européenne. C’est ce que nous voulons faire avec l’Union pour la Méditerranée qui est un grand rêve de civilisation. C’est ce que nous voulons faire partout dans le monde pour redonner de l’espoir à ceux qui n’en n’ont plus. » Nicolas Sarkozy, vœux aux Français du 31 décembre 2007, voir ma note du 02 janvier).
[4] Edgar Morin, "La politique de civilisation ne doit pas être hypnotisée par la croissance", Le Monde du 3 janvier 2008

[5] Discours de Nicolas Sarkozy à l'Université de Dakar, 26 juillet 2007

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